Relais d’Afrique

Sur les rebords de Matonge, les pieds ancrés dans le terreau d’Ixelles, la tête en Afrique, se dresse, rue d’Alsace-Lorraine, la Maison Africaine. Existant depuis 1961, elle accueille 80 étudiants africains chaque année. Nous avons rencontré son président, Thierry Van Pevenage. Il nous explique les défis de son institution, mais aussi les difficultés qu’éprouvent les étudiants africains face au logement bruxellois.

Institution privée munie d’une équipe d’une dizaine de personnes (assistante sociale, personnel d’entretien…), la Maison Africaine a une ligne de conduite très claire : faire plus que du logement. « Notre projet s’articule autour de trois axes : l’accueil, l’accompagnement (dans les démarches administratives par exemple) et l’intégration culturelle. » Cette intégration se réalise dans les deux sens : de nombreuses activités permettent aux Africains de découvrir la capitale, mais aussi à celle-ci de redécouvrir l’Afrique. « On essaye d’organiser le plus souvent possible des expositions, des rencontres. Cela nous aide à dépasser les nombreux stéréotypes que nous avons sur l’Afrique. Qui sait par exemple que son art est un des arts les plus avant-gardistes et audacieux du moment ? »

Au-delà de ces découvertes ponctuelles, c’est aussi un réel ancrage dans la ville qui permet à la Maison de rayonner et d’aider les plus pauvres. « Nous organisons, avec un succès grandissant, des cours de tutorat. Donnés par des étudiants de la maison à des enfants du quartier, ils sont facturés 3 ou 4 euros et permettent des rencontres très enrichissantes. » Une banque alimentaire est également organisée. « Et là non plus malheureusement le succès ne se dément pas. Il y a dix ans nous distribuions 9 tonnes de vivres par an. Nous en sommes à 17 aujourd’hui. Il faut le reconnaitre, la demande ne cesse de croître, les pauvres sont toujours plus pauvres à Bruxelles. »

Bien ancrée dans la capitale, la Maison Africaine n’en oublie pas pour autant l’Afrique et garde des contacts réguliers avec les entreprises du sud. « Notre volonté, comme celle des étudiants, est de les aider à repartir dans leur pays leurs études terminées. C’est là qu’ils pourront pleinement faire fructifier leurs formations. » Formations qu’ils auront pour la plupart déjà entamées chez eux. En effet, face à la demande accrue d’inscriptions, la Maison Africaine doit faire un choix et prendre en priorité des jeunes ayant déjà obtenu un diplôme universitaire. « Pour entrer en adéquation avec la coopération au développement qui nous subventionne pour une bonne partie, nous prenons en effet des étudiants diplômés. Je pense par ailleurs que la majorité des diplômes de bases peuvent être acquis en Afrique. »

Cette priorité n’empêche pas la Maison Africaine de se retrouver avec une liste d’attente atteignant parfois 600 personnes en début d’année. « Vous savez, pour délivrer des passeports, beaucoup d’ambassades exigent que les étudiants aient une preuve de lieu de logement. Alors, beaucoup font appel à nous, nous les aiguillons, mais s’ils ne trouvent rien, beaucoup cherchent un hôtel qui pourra les héberger un temps. Ce n’est qu’une solution très brève. Trop vite ils se retrouvent face à des loyers extrêmement élevés qui les obligent à travailler pour payer leurs études. Les conditions dans lesquelles ils doivent vivre sont alors très difficiles. » Avec un loyer tournant autour des 290 euros, il est vrai que la Maison Africaine fait figure d’exception à Ixelles, commune où, au mètre carré, l’immobilier est le plus élevé de la capitale. « L’accès au logement est un des plus grands défis qui attend la ville. »

Quoi qu’il en soit, Thierry Van Pevenage reste optimiste. Bruxelles est une ville internationale et accueillante. « Nous sommes loin des grandes capitales telles que Paris ou Londres. Bruxelles est presque familiale, et Ixelles fameusement dynamique. Il y a une réelle mixité ici, la Maison Africaine est fière d’en faire partie. »

Lien : www.maisonafricaine.be

Bosco d’Otreppe

Janvier 2012

Ixelles : les défis de la diversité

D’un bout à l’autre Ixelles apparait comme fidèle à sa réputation : un joyeux métissage. Fidèle à son histoire aussi. Issue d’un petit village moyenâgeux blotti à l’ombre d’une capitale, Ixelles, à en croire le site de la commune, accueille dès le XIXe siècle artistes, intellectuels et réfugiés politiques de toutes sortes. Il en résulte un lieu au caractère artistique, novateur et même avant-gardiste.

La commune n’a rien perdu de cet entrain. Il suffit  de voir la liste de  tous les musées, cinémas, théâtres, écoles d’art et lieux culturels pour s’en convaincre. « On n’a pas de pétrole ici » nous avoue Yves Rouyet conseiller Ecolo, « mais notre maillage culturel et patrimonial nous rend fameusement riches ».  Cette importance de la culture permet de créer des liens et de témoigner d’une commune forte de ses habitants aux origines très diverses. « Ici, que ce soit du côté de la place Flagey ou du côté de Matonge, tout le monde se côtoie, il y a une véritable dynamique à Ixelles qui permet à chacun de trouver sa place » explique Thierry Van Pevenage directeur de la Maison Africaine. Et ce ne sera pas le seul. Sophie Engelskirchen coordinatrice et animatrice à la maison des jeunes souligne combien il est possible d’établir des partenariats entre les différents centres et associations de la commune. « Cela nous permet d’être véritablement un carrefour intergénérationnel ».

Malgré tout, ce dynamisme ne cache pas les défauts d’une commune qui a eu du mal à s’organiser face à la pression démographique qui l’étreint depuis quelques années. Il y a tout d’abord un réel problème de logement à Ixelles, où l’on compte à peine plus de 4 % de logements sociaux. « Avec 8 à 10 euros le mètre carré, c’est la commune la plus chère de Bruxelles » explique Olivier de Clippele. « Cela devient un vrai problème » souligne Yves Rouyet. « Que ce soit pour les étudiants qui se battent afin de partager des kots souvent mal aménagés, mais aussi pour les familles de la classe moyenne. Beaucoup sont contraintes de déménager vers Schaerbeek ou Forest, des communes où les loyers sont plus démocratiques. » Rappelons que la commune compte, sur ses 80 000 habitants, plus de 10 000 français. Des travailleurs européens, mais aussi des évadés fiscaux pour la plupart qui contribuent à peser sur les loyers. « Cependant, ne nous trompons pas; c’est une chance pour la commune de les avoir. Ce sont eux qui permettent de restaurer le patrimoine privé, et qui font vivre les commerçants, les théâtres et les musées » rappelle Yves de Jonghe.

Mais c’est aussi les problèmes de mobilité qui ralentissent toute la commune. Ixelles compte soixante voitures pour cent habitants, ce qui est un record en Belgique. Sous l’emprise d’une majorité MRPS qui ne propose pas de réels projets en la matière (si ce n’est quelques parkings et l’aménagement des trottoirs de la Chaussée d’Ixelles), la politique de mobilité reste pour une bonne part définie par le tout à la voiture. « La majorité est rétrograde, manque de volonté politique, de projet global et cohérent » s’insurge l’opposition. « Il n’y a plus de place pour autant de voitures à Ixelles, mais les transports en commun restent inefficaces à cause d’un mauvais aménagement du territoire. »

Enfin, il y a les problèmes liés à l’insécurité qui se retrouvent dans tous les programmes. Car si Ixelles ne s’apparente pas au Bronx, « il y a une multitude de petites incivilités qui rendent la vie de beaucoup impossible » juge Yves de Jonghe. « C’est du tapage nocturne, des sacs poubelles que l’on dépose n’importe quand, des graffitis… Les gens ne respectent rien. » Il manque une présence policière de proximité sans doute, tous les partis l’admettent, mais dans le quartier plus instable de l’Aulne, madame Delaunoy (nom d’emprunt) se montre plus sévère : « ici il y a une présence policière. Ils passent, mais ne font rien pour démanteler les bandes et les dealers qui minent la vie du quartier. On a tout essayé pour souder le quartier. On a organisé des grands repas, des brocantes, des fancy-fairs. Au début tout se passait bien, mais depuis quelques années ce n’est plus possible. On n’en peut rien. On aurait bien voulu continuer à organiser ces festivités, mais à la fin de la journée on se retrouvait avec des tentes lacérées de coups de cutter. Même les autorités communales semblent découragées. »  Ce témoignage, aussi avéré soit-il, reste pourtant cantonné à ce quartier situé sur les rebords de l’avenue de la Couronne. Même Matonge n’est pas vu de la sorte. Et si des émeutes, aussi graves soient-elles, éclatent comme en décembre dernier, elles restent exceptionnelles et s’expriment à l’encontre des autorités congolaises et non belges. « Mais il y a des quartiers plus difficiles. C’est vrai et il est important de les prendre en compte. Par contre, on doit répéter aussi que la diversité se vit à Ixelles comme une richesse » souligne Sophie Engelskirchen « même si on peut toujours mieux l’exploiter ».

Et mieux l’exploiter, cela peut se faire en rendant l’espace public plus convivial et surtout plus ouvert. « Ce que l’on demande depuis des années dans le quartier de l’Aulne c’est un terrain de foot par exemple» insiste madame Delaunoy. « Mon fils et des amis avaient réalisé tout un projet. Faute de soutien, il n’a jamais pu voir le jour. » « On ne peut répondre aux problèmes des jeunes si l’on ne part pas de leurs envies » explique-t-on à la maison des jeunes. « Et c’est de cela dont les jeunes ont besoin : de terrains extérieurs et ouverts sur lesquels ils peuvent se défouler. »

À quelques jours du mois de février, sous un grand soleil d’hiver, on quitte momentanément la commune d’Ixelles. Il reste beaucoup de choses à y découvrir pourtant. L’ULB, le quartier européen, les artères commerçantes, le musée communal aux collections incroyables. On passe devant le théâtre Marni qui de temps en temps s’installe dans la rue pour y proposer des spectacles de danse. À lui seul il représente l’ouverture et la convivialité d’Ixelles. Une commune au sein de laquelle les défis ne manquent pas, mais qui se présente toujours plus comme un des centres névralgiques de la capitale.

Bosco d’Otreppe

Janvier 2012